13
Salarnier s’écarta du bord du trottoir. Une neige grise qui se transformait en soupe couvrait la chaussée, et les voitures aspergeaient les passants. Noël était tout proche. Les vitrines des commerçants se garnissaient de victuailles graisseuses.
Salarnier s’arrêta chez le fleuriste et commanda un énorme bouquet de fleurs tropicales, pour narguer l’hiver. L’état de santé de Martine s’était brutalement aggravé début décembre. Patrick l’avait prédit : l’anémie, les troubles de la marche, les nausées, tout cela, c’était « classique ». Mais il y avait autre chose.
Martine était très faible. Elle avait maigri, encore. La polynévrite qui frappait sa jambe gauche l’empêchait de quitter seule le lit. Salarnier devait la porter jusqu’aux toilettes. Au bout de quelques jours, elle en eut assez et appela elle-même Patrick pour lui demander de l’hospitaliser. Ce qui fut fait dès le lendemain. Une ambulance vint la prendre en charge à Gentilly et la conduisit à l’Hôtel-Dieu, où on l’admit dans le service que dirigeait le docteur Lafont.
Salarnier ne savait que penser de cette décision. Résultait-elle d’une décision de lutter pied à pied en endossant une défroque de malade « officielle », ou, au contraire, fallait-il l’interpréter comme un signe d’acceptation résignée de la maladie…
Il se retrouva donc seul, chez lui. Le matin, il allait au Quai faire de la présence. Puis, dès que l’heure des visites était arrivée, il rejoignait l’hôpital pour y passer l’après-midi, voire le début de soirée au chevet de sa femme. Il apportait des fleurs, des bonbons, des magazines et couvrait le lit de Martine de tous ces grigris. Le soir, il soupait dans un restaurant du quartier puis regagnait son domicile. Il traînait jusqu’à minuit à lire ou à s’abrutir devant la télé, puis prenait sa ration de somnifères et sombrait enfin dans le sommeil.
Martine souffrait de douleurs diffuses, dans les os, dans le ventre ; on examina son corps décharné au scanner, on lui fit subir plusieurs scintigraphies. Enfin, après une semaine d’examen, Patrick fit ses aveux à son ami : des métastases étaient apparues, dans les os, et au foie. Le pronostic était sombre. Ils annoncèrent à Martine que toutes ces complications résultaient des effets secondaires de la chimio, mais elle n’était pas dupe.
Salarnier errait donc, de place en place, et le temps lui semblait se distordre, comme dans une galerie de miroirs déformants. Certaines minutes pesaient affreusement lourd, alors qu’en soufflant sur des journées entières, il ne restait plus rien que des poussières d’instants futiles.
Du côté du tueur à la faux, rien n’émergeait. À plusieurs reprises, Rital et son équipe avaient passé au crible les éléments dont ils disposaient. Puis, à la veille de Noël, Rital partit pour la Pologne apporter ses médicaments. Désœuvré, Salarnier vint même l’accompagner à la gare. L’affaire était en sommeil, et d’autres enquêtes furent offertes en pâture à la machine policière…
Durant les premiers jours de janvier, Martine fut soumise à une nouvelle cure de chimio. Elle avala des gélules aux noms jusqu’alors inconnus : Adriblastine, Vincristine… Salarnier voulait l’arracher à l’hôpital, la ramener à la maison, prendre un congé pour s’occuper d’elle : elle refusa tout cela. Salarnier comprit qu’indifférente aux résultats du nouveau traitement, elle avait accepté de se laisser aller. Le soir du 7 janvier, il passa la nuit chez Isabelle et Patrick, qui l’avaient invité à souper. Toute la nuit, il pleura. Le matin, abruti de fatigue, il parvint enfin à s’endormir, quand un coup de téléphone de Rital l’arracha à son lit…